La perte d'influence politique de l'ONU face aux intérêts politiques des grandes puissances
OPINION. Plusieurs exemples illustrent la difficulté de l'ONU à maintenir une légitimité cohérente et une influence politique efficace. L'incapacité à résoudre les conflits en Syrie, au Yémen, en Bosnie ou en Ukraine, ou les résolutions souvent symboliques n'ont pas conduit à des changements tangibles, renforce l'image d'une organisation qui peine à appliquer ses grands concepts des droits de l'Homme et d'égalité des genres face aux intérêts politiques des grandes puissances.
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Le 30 juin dernier, à Doha, les talibans ont participé à la 3e réunion d'une série de pourparlers sur l'Afghanistan organisée par l'ONU, après avoir imposé comme condition sine qua non, l'absence de toute femme afghane et de représentants de la société civile afghane. Cette condition acceptée par l'ONU a été vivement critiquée. Les envoyés spéciaux des États-Unis, de la Russie, de la Chine, du Pakistan et de plusieurs pays européens, dont la France, ainsi que des représentants de l'ONU et des ONG internationales, étaient présents pour établir un dialogue direct avec les talibans et améliorer la situation des droits humains, en particulier ceux des femmes dans le pays. La réunion s'est conclue sans progrès significatifs en matière de droits humains. Les discussions ont mis en avant la nécessité de nommer un envoyé spécial de l'ONU et de renforcer l'aide humanitaire. Les participants ont noté l'absence de progrès tangibles, notamment sur les droits des femmes.
Le 27 mars dernier, l'organisation des Nations unies (ONU) a nommé l'Arabie Saoudite à la présidence du Forum sur les droits des femmes et l'égalité des sexes, déclenchant une déferlante de critiques des ONG et de la société civile, dénonçant une perception flagrante de double standard de l'organisation, étant donné le bilan de l'Arabie Saoudite en matière de droits des femmes. Aujourd'hui, l'ONU se trouve à nouveau sous le feu des critiques pour avoir accepté d'asseoir les talibans à la table des négociations tout en respectant leur condition de ne pas inclure les femmes dans les discussions. Cette décision va directement à l'encontre des principes établis dans les conventions internationales de l'ONU. L'article 2 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme (DUDH) de 1948 stipule que tous les individus ont droit aux libertés et aux droits sans distinction de sexe. En acceptant cette condition des talibans, l'ONU contredit également les articles 7 et 8 de la Convention sur l'Élimination de toutes les formes de Discrimination à l'égard des Femmes (CEDAW) de 1979, qui exigent la participation pleine et entière des femmes à la vie politique et publique.
Ces actions entraînent une perte d'influence normative de l'ONU, affaiblissant non seulement sa crédibilité, mais réduisant également sa capacité à imposer des standards internationaux. En outre, l'ONU risque de légitimer des normes qui vont à l'encontre des droits de l'Homme. En réponse aux critiques, Rosemary DiCarlo, sous-secrétaire générale aux affaires politiques et de consolidation de la paix de l'ONU, a déclaré que "discuter ne veut pas dire légitimer". Cette distinction est difficile à maintenir lorsque les conditions imposées par des régimes répressifs sont acceptées, car cela peut être perçu comme une forme de reconnaissance tacite de leur autorité et de leurs pratiques.
Une influence politique en déclin
Déjà par le passé récent, plusieurs exemples illustrent la difficulté de l'ONU à maintenir une légitimité cohérente et une influence politique efficace. L'incapacité à résoudre les conflits en Syrie, au Yémen, en Bosnie ou en Ukraine, ou les résolutions souvent symboliques n'ont pas conduit à des changements tangibles, renforce l'image d'une organisation qui peine à appliquer ses grands concepts des droits de l'Homme et d'égalité des genres face aux intérêts politiques des grandes puissances.
Le problème du droit de véto, utilisé de manière excessive par les membres permanents du Conseil de sécurité, est au cœur de cette paralysie. Ce mécanisme, conçu pour maintenir un équilibre de pouvoir après la Seconde Guerre mondiale, est aujourd'hui employé pour servir les intérêts géopolitiques des puissances dominantes, au détriment des principes mêmes de l'ONU. Par exemple, la Russie et la Chine ont régulièrement opposé leur véto à des résolutions concernant la Syrie, empêchant ainsi toute action significative pour mettre fin à la guerre civile. Le 30 septembre 2022, la Russie a utilisé son véto pour bloquer la résolution qui condamnait l'annexion par Moscou de quatre régions ukrainiennes et demandait le retrait immédiat des troupes russes. En 2023, le Conseil de sécurité de l'ONU a vu l'utilisation de son véto à six reprises. En comparaison, la moyenne annuelle du nombre de vetos au cours de la décennie précédente (de 2013 à 2022) était de 3,8 vetos par an. Cette augmentation significative de l'utilisation du droit de véto en 2023 souligne les tensions géopolitiques accrues et les divisions profondes au sein du Conseil de sécurité, rendant presque impossible l'adoption de mesures concertées et efficaces.
Cette situation contribue à la perte d'influence politique de l'ONU, mais les défis ne s'arrêtent pas là. L'organisation doit également faire face à une crise de financement humanitaire exacerbée par les doubles standards perçus et à la dépendance à quelques grands donateurs. En 2023, seulement 20% des besoins humanitaires étaient financés à mi-année, créant un déficit de 20 milliards de dollars malgré des besoins records. La frustration des bailleurs face aux incohérences perçues dans les politiques de l'ONU a conduit, la Suède, l'Autriche, la Norvège et le Danemark à réduire ou suspendre leur financement, obligeant l'organisation mondiale à réduire l'aide humanitaire en Afghanistan, en Syrie et Yémen, compromettant ainsi la crédibilité de l'organisation et sa capacité à répondre efficacement aux crises mondiales.
Pour pallier sa crise d'influence politique et retrouver sa crédibilité sur la scène internationale, l'ONU pourrait adopter plusieurs réformes essentielles − D'abord limiter l'usage du droit de veto, particulièrement dans les situations de violations graves des droits humains, pour empêcher les blocages systématiques et permettre des actions plus décisives − Ensuite, élargir le Conseil de Sécurité pour inclure plus d'États membres d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, améliorant ainsi la représentativité et la légitimité des décisions prises − Enfin, diversifier ses sources de financement, et améliorer la transparence de ses programmes pour compenser le désengagement de certains bailleurs de fonds. Ces réformes pourraient renforcer la confiance des États membres et des donateurs augmentant ainsi l'aide humanitaire.
L'étude récente du Crisis group, organisation indépendante qui mène des recherches et propose des solutions pour prévenir les conflits à travers le monde, a identifié de nombreux défis auxquels l'ONU sera confrontée en 2023 et 2024 soulignant le besoin urgent de changements structurels pour les surmonter. Ces changements, qui nécessitent des amendements de la Charte des Nations-Unies, pourraient en effet redonner à l'ONU toute son influence politique. Cependant le défi majeur réside dans le fait de faire approuver cette réforme lors de la dernière étape, notamment par les cinq membres du Conseil de sécurité, dont les intérêts politiques divergents rendent cette validation incertaine. Le New Agenda for Peace reconnaît également ces défis et propose des solutions ambitieuses, mais il sera crucial de surmonter les résistances politiques pour revitaliser pleinement le rôle de l'ONU.
Par Véronique Chabourine, analyste Soft Power
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